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51 rue de l'été
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11 juin 2007

La fin de l'histoire

Le premier appel est arrivé jeudi soir.  Ta soeur S est hospitalisée, double pneumonie. Je me dis, bon cette fois ça y est. Pourvu qu'elle ne meure ni aujourd'hui (l'anniversaire de maman) ni demain (je suis égoiste, c'est mon anniversaire à moi). Maman a donc passé la journée de son anniversaire à l'hôpital au chevet de sa fille aînée.

8h, dimanche matin. Deuxième appel. L'afficheur indique le numéro de ma soeur L. Je me dis que c'est cette nouvelle qu'on attend depuis très longtemps, mais qu'on préférerait ne pas entendre. Elle est décéde cette nuit. Je n'ai pas compris l'heure, mais ma mère était à ses côtés.

Voilà. Cette soeur-fantôme que j'ai eu, que je n'ai jamais connue, que j'ai vue peut-être dix fois dans mes cinquantes ans, la voilà envolée vers un monde que l'on suppose meilleur. Je ne sais même pas comment je me sens. J'appelle au boulot, car je devais travailler aujourd'hui. Puis, les larmes s'installent. Pas de sanglots, juste cette eau salée qui me surprend un peu. Comment pleurer quelqu'un qu'on ne connait même pas? Je pleure sans doute d'avoir eu cette soeur aînée sans l'avoir jamais eu. Toutes ces choses que j'aurais tant voulu faire avec une soeur aînée, rire, se chamailler, discuter garçons et histoires de filles, s'échanger des vêtements et des blagues, et puis une fois adultes partager nos histoires, s'encourager, s'aider... j'idéalise peut-être.

Difficile de grandir dans l'ombre d'un fantôme. Devoir toujours réussir pour deux, être sage pour deux, vivre pour deux. Lourde responsabilité. Et puis à la maison, on ne parlait jamais d'elle. J'ai connu son existence au début, par des photos de cette petite fille frêle assise à mes côtés, qui ne me ressemblait pas beaucoup. Puis un jour nous avons fait  un long voyage - 12 heures de route, pour aller lui rendre visite, dans cet hôpital, ou hospice où elle était. Voilà ta soeur, me dit-on. Ah bon. J'avais 8 ou 9 ans. Je l'ai revue dix ou 15 ans plus tard, je ne sais même pas.

Comment pleurer une inconnue? Et pourtant c'est ma soeur. Ma plus jeune soeur m'a aussi appelée ce matin. Nous ressentions toutes les deux le même étonnement face à cette soeur qui est décédée après tant d'années. Je me souviens d'avoir entendu régulièrement: elle ne vivra pas passé l'âge de 5 ans, puis ensuite lorsqu'elle avait 10 ans, en tout cas pas plus de 12-13 ans. Plus tard les médecins disaient, bon peut-être se rendra-t-elle à 20 ans, mais vraiment pas beaucoup plus. Finalement ils ont cessé leurs prédictions. Qui sont-ils pour oser même faire ces prédictions. Elle aura fait d'eux des menteurs: elle a vécu 54 ans.

J'imagine que ma mère doit être triste mais soulagée. Se faire dire régulièrement que son enfant va mourir sous peu, je ne peux même pas imaginer ce que ça doit faire. Toujours attendre cette mort, toujours la craindre peut-être, toujours la surveiller... Sa réaction m'a juste un peu surprise lorsque je lui ai parlé ce midi: C'est ça la vie: on meurt, c'est tout. Mais à bien y penser, c'est peut-être la seule façon pour elle de ne pas s'effondrer.

Et puis avec son frère qui est lui aussi très malade, on se prépare pour un été lourd.

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Commentaires
C
C'est indiscret de te demander quelle maladie elle avait? A-t'elle passer sa vie à l'hopital? Je pense à ta maman qui doit etre agée: voir mourir son enfant, quel que soit l'âge est une épreuve terrible.
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